Qui sont les pauvres ?
- Cathy BOU
- 16 avr. 2024
- 2 min de lecture
L’aridité se faufile sur l’écran de la voiture.
Cela fait déjà 10 jours que je me sens déroutée. J’ai 13 ans. Je suis là à l’arrière coincée entre la portière et ma grand-mère et parfois mon frère, avec à nos pieds, notre chienne Dolly.
Quelle folie ce voyage ! Nous sommes en 1981. Je vois défiler les paysages, les douars, le désert, les montagnes du Rif, des chèvres perchées sur des arganiers, et la misère.
Aujourd'hui encore elle m’arrache le cœur.
Trop c’est trop et ce trop me permet juste de faire arrêter la voiture tractant la caravane, notre logement pour ces 3 semaines de “vacances”.
Je déglutis et mon estomac se répand sur le sol sec de la frontière Maroc Algérie.
Le ciel bleu, la montagne et le désert pour témoins. Je ne vois que la terre grise et sèche, avec ses tas de monticules de pierre.
Mon tas de dégoût humide de larmes et épais de rancœur s’étale.
Tant de cailloux, de vide, de poussière assèchent mon cœur tendre.
Pourquoi s’émerveiller, s’extasier devant ce décor aride.
La chaleur humaine m’envoute, leur accueil, leur soif de nous connaître s’éclipsent devant la mouscaille, la morve aux bords des commissures des lèvres, les lambeaux de tissus comme habits, leurs mains rèchent et les joues tracées.
Le dénuement ouvre le cœur à cette fraternité.
Ce jour là, mélée d’impuissance et de détermination ma bile a parlé malgré moi.
Assise dans le fauteuil, je dois choisir mon métier. J’ai 18 ans, le bac en poche. Ma mère assène “tu aimes voyager tu devrais être hôtesse de l’air” Ma tête s’embrouille, moi je ne veux pas être serveuse pour les riches, je veux servir les pauvres.”
Les années passent, la pauvreté s’insinue dans la vie, torture mon âme, mon coeur, épuise mon esprit et assèche ma plume.
Même les trajets dans le métro transpirent les égouts.
La place Djema Efna aseptisée, volée de sa poussière, pavée arrêtera ma soif de voyages.
En groupe tassés dans des bus de luxe, la vitre me rappelait trop l’écran de cette voiture qui filtre et laisse entrer la misère pas celle des hommes mais celle des cœurs.
Commence alors mon voyage immobile à l’essence de moi.
La question se pose: qui sont les “pauvres” ?
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